« L’indépendance politique sans connaissance et compétence scientifiques est aussi contradictoire que le concept d’un tigre végétarien »
Malcolm Sathiyanathan Adiseshiah,
1964 conférence de Lagos, Unesco
Cette crise sanitaire à vraisemblablement remis la science au goût du jour : elle est dorénavant à la une des journaux et a réduit les actualités politiques, sportives et culturelles à une portion plus que congrue.
La communication scientifique bat son plein parce que le virus a subitement rapproché le gouvernement des communautés scientifiques. Les remèdes contre la Covid-19 trouvés à Madagascar (Covid-Organiques) et au Bénin (Apivirine) prouvent que cette dynamique a aussi atteint l’Afrique, même si c’est avec un brin d’ironie et de ridicule que ces remèdes ont été accueillis en Occident.
Très peu de crédibilité est accordée au savoir et à la recherche des Africains, surtout s’ils ne sont pas en accord avec des institutions ou tout autre centre de recherche européen ou américain. La crédibilité de l’Afrique, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’a toujours été attribuée que par l’Occident et selon les normes établies et éprouvées par les Occidentaux. La recherche scientifique africaine n’a jamais été respectée sur le vieux
continent.
Qui oubliera le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007 dans lequel il déclarait avec l’art de la petite phrase qu’on lui reconnaît que « le drame de l’Afrique vient du fait que
l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire… Dans le chapitre consacré à l’Afrique dans l’ouvrage La raison dans l’histoire, Hegel affirme que l’Afrique est le continent de la
substance immobile et du désordre éblouissant, joyeux et tragique de la création. Les nègres, tels que nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été dans l’immense énergie de l’arbitraire naturel qui les domine, ni le moment moral, ni les idées de liberté, de justice et de progrès n’ont aucune place ni statut particulier.
Celui qui veut connaître les manifestations les plus épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Cette partie du monde n’a, à proprement parler, pas d’histoire. Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique6 non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle.
Ce discours de Dakar et le préjugé hégélien sont des exemples du regard arrogant et goguenard que l’Occident pose sur l’Afrique en matière de progrès. Je ne partage nullement cette propension à sous-évaluer la civilisation africaine. Néanmoins, sans ambages ni faux fuyant, je pose la question pragmatique du statut que l’Afrique donne à sa propre recherche scientifique et à ses chercheurs, quand on sait que ces derniers choisissent souvent de s’expatrier dans d’autres pays où la recherche est reconnue à sa juste valeur.
Le fossé scientifique et technologique entre l’Afrique et le reste du monde n’a fait que s’accroître au fil des ans. Selon certains économistes, ce fossé grandissant est en partie responsable du sous-développement du continent. Le continent abrite 13,4 % de la population mondiale. Cependant, il ne fournit que 1,1 % des chercheurs scientifiques de la planète selon la Banque Mondiale. Il compte environ un scientifique ou un ingénieur pour 10 000 habitants, alors que les pays industrialisés en comptent de 20 à 50.
Parmi les plus sérieux obstacles aux progrès de la science et de la technologie en Afrique, on compte la diminution continue de leur financement, la fuite des cerveaux (le départ des personnels qualifiés pour d’autres pays), des niveaux d’alphabétisation trop faibles et le manque de femmes suivant une formation scientifique. Par ailleurs, les résultats des recherches menées sont rarement exploités par les industries locales.
Je partage la réflexion d’Alain RUELLAN, ancien Directeur Général de l’Institut Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération, qui, dans un article intitulé « La recherche scientifique facteur de développement », publié dans la, revue le Monde diplomatique en août 1988, rappelait déjà que « Pour le Tiers-monde, la recherche n’est pas un luxe. Elle constitue la première des conditions d’un développement maîtrisé localement…le jour où l’Afrique noire sera capable d’avoir une recherche fondamentale autonome…reprendra totalement confiance en ses propres capacités intellectuelles pour construire un système moderne de recherche, n’y aurait-il pas des productions originales dont le monde entier profitera ?».
La recherche scientifique, dynamique susceptible d’impulser le développement économique, social et culturel des pays africains, devrait également faire partie des axes stratégiques prioritaires de la République démocratique du Congo dans l’ère Post-Covid19.
1. Le défis à relever par la RDC
Quelques années après l’accession du Congo à la souveraineté tant nationale qu’internationale, il s’observait déjà une prise de conscience des intellectuels et universitaires qui prenaient leur distance avec la production des savoirs coloniaux. Ces intellectuels cherchaient avant tout à obtenir de leurs collègues la prise en compte des valeurs africaines dans la production scientifique qui soient davantage en accord avec l’environnement local,comme l’ont si bien examiné, entre autres, Mabika Kalanda (1967), Ilunga Kabongo (1980), Mudimbe V.Y. (1980), Kalele Ka-bila (1983), Bongeli Yaikolo (1994).
Sous la deuxième République Mobutienne, de nombreux chercheurs orientaient leurs réflexions vers la consolidation de l’idéologie Mobutiste en réduisant à cet effet la culture et la
science à une simple entreprise de propagande. L’absence de la dynamique dans le secteur scientifique et technologique en RDC malgré la présence de la loi 82-040 du 5 novembre 1982 portant organisation de la recherche scientifique et technique fit l’objet de nombreuses critiques, notamment à la Conférence Nationale Souveraine (CNS) organisée de 1990 à
1992, et aux États généraux de la recherche scientifique dont les résultats sont restés lettre morte. Avec le Programme des ajustements structurels des années 1980 en Afrique et les crises politiques et économiques qui se sont succédé durant la décennie 1990 en RDC, la recherche scientifique, technologique et industrielle s’est davantage marginalisée. Elle ne bénéficie plus de ressources nécessaires pour être effectuée. Très peu de chercheurs s’y adonnent et innovent. Dans le même temps, le système universitaire congolais s’alourdit et devient moins efficace pour relever les défis nationaux et internationaux. Le peu de recherches réalisées dans les universités et instituts de recherche est financé par des organisations extérieures (coopération belge, USAID, et autres) qui d’ailleurs décident de ce qui doit être fait et des programmes à suivre.
Aujourd’hui, la crise de la Covid-19 et ses conséquences démontrent éloquemment l’urgence de la revalorisation de la recherche scientifique en RDC car non seulement qu’elle est devenue, de nos jours, l’un des principaux moteurs de la croissance économique, mais surtout elle représente également un gisement important d’emplois. En effet, l’absence de politique de recherche et d’innovation est le premier grand écueil pour un véritable système national de recherche. L’absence d’infrastructures de recherche adéquates est à l’origine de la faiblesse qualitative et quantitative des travaux de recherche ainsi que de la fuite des talents formés. L’insuffisance de financement de la recherche a dilué la qualité scientifique au cours de ces dernières années. Il faut une véritable révolution épistémologique pour booster
notre développement.
2. Proposition de loi LOANDO pour un nouveau pacte de la nation avec sa recherche scientifique
La promotion de la recherche scientifique et technologique constitue un choix stratégique afin de contribuer dans l’édification de la société. À ce titre, elle est conçue pour être le principal outil du développement culturel, social, économique et environnemental du pays. Le renforcement de la capacité des chercheurs, la mutualisation des ressources tant humaines que matérielles sont primordiaux afin que la recherche puisse être compétitive. La législation en vigueur étant en inadéquation avec les standards nouveaux de recherche scientifique, il convient, dans un avenir proche que nous impose la relance tous azimuts POST-COVID adopter une nouvelle loi sur la recherche scientifique. J’ai humblement mais avec la rigueur qui peut me caractériser travaillé sur une Proposition de loi déterminant les principes fondamentaux relatifs à la recherche scientifique et l’innovation technologique.
Cette proposition de loi vise à donner un nouvel élan à la recherche scientifique et technologique dans notre pays pour lui permettre de s’adapter aux réalités d’aujourd’hui et de relever les défis de la science, de l’économie et de la société de demain aux niveaux national, africain et international en :
- mettant en place un cadre performant pour l’organisation et la conduite de la recherche scientifique et technologique en vue de l’émergence d’une société fondée sur le savoir et imprégnée d’une culture scientifique de qualité ;
- assurant un financement adéquat de la recherche scientifique et technologique ;
- stimulant la diffusion et la valorisation des résultats de la recherche.
Cette initiative législative que je porte pour revaloriser la recherche scientifique en RDC comporte les innovations ciaprès :
- promotion d’une culture et une éthique de la recherche scientifique et technologique ;
- redéfinition des priorités nationales en tenant compte des besoins fondamentaux de la population ;
- création d’une Agence Nationale de Valorisation des Résultats de la Recherche;
- diffusion et valorisation des résultats de la recherche scientifique et technologique ;
- création du Haut conseil national de la recherche scientifique et technologique ;
- renforcement de l’écosystème de recherche ;
- mise en place d’un mécanisme de coordination, du suivi et de l’évaluation de la politique nationale de la recherche scientifique et technologique ;
- rayonnement et attractivité internationale de la recherche scientifique et technologique ;
- Financement efficient de la recherche scientifique.
En somme, la RDC, notre cher pays, qui aspire à l’émergence, doit nécessairement mettre la recherche scientifique au rang des priorités. Elle doit redonner à la science ses lettres de noblesse, pour ne pas être en contradiction avec ses aspirations et ambitions. Le pays doit désormais, après avoir tiré toutes les leçons de la pandémie de la COVID-19, miser encore plus sur la recherche scientifique et compter sur la valeur et la compétence de ses
propres ressources humaines (les éminents Chercheurs et Enseignant-Chercheurs des Universités, Instituts et Centres de Recherche de la RDC toutes disciplines confondues), au lieu de continuer à attendre des « solutions importées » et souvent inadaptées à nos réalités. Nous avons le devoir de réinventer l’économie congolaise.
Tiré du livre : Le Congo d'après
Christian ISHOMBA ETAMBELA Répondre
Cet article mérite des eloges, car le 21 ème siècle considère la science comme un piédestal sur lequel repose les aspirations des peuples fondées sur un développement Tous azimuts. La vérité dans l'esprit et sa manifestation dans la pratique pour le bien être du citoyen Congolais, ne peut être réelles que lorsque la recherche scientifique est considérée comme une priorité indispensable. Dans cette même optique, le Pape Jean Paul II, dans son encyclique Fides et Ratio, souligné que, la foi et la raison sont comme les deux ailes qui amènent l'homme àla contemplation de la vérité ; la raison ici c'est la science ; le philosophe Rênes Descartes défini la raison comme le bon sens, la capacité de distinguer le vrai avec le faux. Eu égard àtoutes ces analyses et leurs confrontatios avec les notions explicité es par Me Guy Loando, je me sens dans l'obligation de saluer de tout cœur l'esprit et la lettre de son oeuvre scientifique.